L'homme faisait tournoyer sa plume avec une certaine aisance, visiblement habitué à l'exercice de jouer avec ainsi sans en perdre la moindre goutte au sol. Le goût amer de la cigarette lui manquait là, maintenant, mais il n'avait pas envie de polluer l'air de son futur client avant la signature du contrat, et la remise de l'objet. Après tout, un client dans une situation d'inconfort était moins apte à exposer sa demande, et le caractère d'un naturel tendu de l'hôte n'aidait en rien. Il l'écoutait, paraissant distrait malgré l'oreille attentive qu'il portait à ses propos, et ses yeux qui fixaient les mains un peu trop graisseuses de l'autre, faisant attention à ce qu'il venait à toucher, pour pouvoir être sûr de penser à les mettre au propre après son départ. C'était une chose qu'il détestait ça, que l'on tripote et que l'on salisse ses affaires, mais il devait se montrer aimable, du mieux qu'il le pouvait du moins. Lorsque ça allait trop loin, il ne parvenait pas vraiment à se maîtriser de toute façon et malgré sa fierté, et son côté hautain, il arrivait parfois qu'il se remette en question, bien qu'il ne l'assumait qu'à moitié, et seulement quand il était seul. L'avis d'un autre importait peu lorsqu'il était persuadé de ce qu'il disait, de ce qu'il devait faire, ou lorsqu'il se laissait emporter.
Soupire de l'autre, il est arrivé au terme de ses explications. Au final, la situation était assez simple. Il n'avait qu'à remettre une boite à quelqu'un, dans un café, non loin de la bibliothèque. Un « cadeau » que l'autre homme prétendait. Aucune question ne fut posé, de toute façon, ce n'était pas son rôle de découvrir ce que contenait ce paquet, bien qu'il se doutait qu'il ne participait pas toujours à des expéditions très réglementaires, mais peu importe. Ce qu'on lui offrait en échange lui suffisait à fermer les yeux.

Pourrit, jusqu'à la moelle, tel était le profil des Damnés, tels étaient ceux qui avaient du payé, et il n'échappait pas à la règle. La poignée de main qui découla de cet entretien lui fit remonter une boule de dégoût au fond de la gorge. Cette sensation, cette nausée, il ne l'appréciait pas, bien qu'il attendit sagement que son « invité » quitte la pièce avant de se précipiter en direction du lavabo pour enlever le souvenir du contact moite qui l'avait souillé, puis d'attraper une éponge, jetant rapidement un regard à sa montre, avant d'aller essuyer ses affaires, les affranchir de toute autre présence humaine que la sienne, estimant qu'il avait le temps devant lui.

Depuis son arrivée, il avait toujours trouvé la ville de Libra, voir même l'Eden en général, d'une beauté atroce, de celles qui vous hurlent au visage que le monde est beau, et qu'il faudra sourire et rire à cœur joie, s'affranchir de ce stresse, cette colère, cette angoisse inexpliquée qui vous ronge de l'intérieur. La citadelle se présentait sous son  plus beau jour, aujourd'hui encore. Sa cigarette avait enfin rejoint ses lèvres, et il en tiré une grande bouffée de satisfaction.
Un bref regard sur la terrasse indiquée, un nouveau sur sa montre, il était dans les temps, voir même en avance. Fledric s'avança alors, assez confiant, allant s'attabler à l'ombre et prenant un café allongé avec deux sucres (détail qui aurait pu en faire rire certain, pensant qu'il ne prenait que des cafés noirs et serrés). Son regard se perdit sur la rue qui débouchait sur la bibliothèque. Tiens, ça faisait un moment qu'il n'avait pas croisé Comewil, non pas que cet énergumène lui manquait vu que de toute façon il ne le supportait pas, mais cette constatation lui fit tout de même bizarre. Le hasard avait toujours fini par les rassembler, peut-être que, pour la forme, il devrait lever ses fesses et aller vérifier lui même qu'il n'était pas mort ou porté disparu. Il devait forcément travailler à cette heure-ci.

L'échange se fit sans encombre et Fledric quitta sa table, il n'avait plus rien à faire là de toute façon. Trois clopes y étaient passées, mais il n'en avait rien à faire. Au pire, ses poumons lui feraient sentir un jour son erreur, au mieux, ça ne lui ferait rien. Il s'arrêta tout de même au toilette, histoire de faire le tour, de retirer les quelques goûtes qui avaient pu couler sur sa main, avant de ressortir comme si de rien n'était. Si il voulait voir le bibliothécaire, il ne servait à rien d'attendre qu'il sorte, autant aller le voir directement. Puis, une fois face à lui, il se rendrait de nouveau compte qu'il ne le supporte pas, et qu'il n'aurait jamais du mettre les pieds dans cet endroit mal là, il en avait envie, et il n'avait toujours pas rendu un livre qu'il avait emprunté il y a quelques temps pour un job, ça lui donnerait une excuse.

Un bref passage chez lui, et voilà qu'il franchissait les portes du bâtiment. L'odeur du papier et des vieux livres lui imprégnèrent les narines alors qu'il s'avançait dans le hall. Ses yeux se posèrent ensuite sur le bureau du dit bibliothécaire, l'homme qu'il était venu voir, qu'il cherchait plus ou moins du regard, jusqu'à tomber sur lui. Son livre en main, il s'avança, doit sur Comewil, avant de finalement s'arrêter à une distance raisonnable, tiltant sur l'aspect de son visage. Il n'aurait jamais du foutre un pied ici, provoquer une nouvelle rencontre, il le voyait maintenant clairement au visage abîmé de ce mec qu'il ne pouvait pourtant pas supporter. Frappé, jusqu'à mettre la chaire à nue, marquer cette peau en profondeur, d’hématome que Fledric lui même n'avait pas causé, bien qu'il aurait très bien pu le mettre lui même dans cet état là. Il le méritait, lui et sa grande gueule, Comewil le méritait... et Fledric ne comprenait pas pourquoi cette colère montait en lui en voyant ça. Ça ne lui donnait envie que de le cogner plus fort encore, de recouvrir ses marques de nouvelles blessures, plus intimes, plus personnelles, alors qu'il n'avait même pas encore ouvert la bouche.
Son poing se serra, il tenta de se calmer.

« T'en a pas marre de servir de punching ball ? C'est plutôt pitoyable de ne pas réagir à ça.. Sauf si t'es maso ? »

Pas un bonjour, pas une formule de politesse, il allait droit au but. Avec lui, ça ne servait à rien de toute façon, et Fledric qui s'était promis de juste rendre le livre et de partir s'en retrouver avec un propos différant affreusement de son but premier. Il ne comprenait pas pourquoi Comewil se baladait ainsi, exposant aux yeux et à la vue de tous sa faiblesse physique, comme si il se baladait avec une pancarte « frappez moi, de toute façon, d'autres le font déjà. »
D'un geste machinal, il posa négligemment le livre sur le bureau, ne lui accordant qu'un bref regard pour être sûr qu'il ne risque pas de tomber avant de se concentrer sur l'homme à lunette, et sur les plaies immondes qui décoraient sa face.