Las, las trop las. Je suis trop las, bien trop las. J'ai trop regardé l'incessant ballet de la foule qui se défoule dans le quartier albâtre de la citadelle. Ils piétinent. Ils tournoient. Je me suis trop immobile. C'est un fait. Je suis loin de là. Hors de tout. J'ai trop soufflé ma cigarette. Fixé comme j'étais, dans le coin de la rue. Celui hors d'atteinte et de vue. Puisque je veux pouvoir observer sans retenu sans souffrir des regards inquisiteurs qui n'y comprendraient rien. J'ai trop vu. Trop vécu. Et mon faux-cœur s'épuise à trembler si peu de sentiments. Même les plus mauvais. Les plus légers. Je crèverai pour un peu de joie ou de colère. Il faut des rires sur ma bouche ou des larmes. Des soupires las j'en est trop bien trop soufflé. J'aspire à la nouveauté. N'inspire que la banalité. Sacré mort.
Je suis donc parti. Comme on part prendre le train, sans trop savoir où j'allais pouvoir aller. Pas à Libra. La ville. Pas le faux paradis. Si je pouvais le quitter. Ah... Quoi qu'il en soit je suis parti. J'ai pris le téléporteur. Il m'a désintégré puis recomposé. Quelque part.
Et dans ce quelque part il y avait des fleurs. Des parterres. Colorés et sans cesse agités par les faux-vents du monde. J'ai reconnu Canaan. Après quelques secondes de flottement.
Il faut dire que j'aime prendre le téléporteur et tout bousiller. Ma tête. Mon ventre. Ça fait ressentir, au moins. Un peu. Vraiment beaucoup moins qu'au début maintenant. J'ai même plus la nausée. Je l'ai trop usé. Je l'ai trop ressenti. Avant. Je suis trop habitué. Vagabond éternel. Sauvé ennuyeux aux jambes trop habituées à se traîner ça et là. Triste mort.
Je n'ai jamais aimé les fleurs. Même pas dans cet avant dont je me souviens si peu. Je n'ai jamais aimé les fleurs, alors je me demande bien pourquoi j'ai un semblant de nostalgie dans la rétine quand je vois des marguerites?
J'esquisse un sourire discret et je range ma cravate dans la poche de ma chemise mal-boutonnée. Je m'accroupi et je cueille une fleur.
Je l'ai arraché sans faire attention-puisque je ne fais attention à rien- et j'ai abîmé mon regard. Je l'ai abîmé des heures. Accroupi et stoïque. J'ai fait l'effort de froncer les sourcils pour stimuler ou simuler ma réflexion. Longuement. Peut-être trop. La cendre de ma cigarette s'est entassé sur mes cuisses. Incandescente. Je n'ai même pas remarqué. Ou à peine. Je n'ai pas bronché une fois. Et pourtant j'ai ressenti un peu de douleur. Quelque part... Quelque part d'un peu lointain puisque que mon faux-corps n'est qu'un ersatz.
Au bout d'un millénaire j'avance ma main. J'arrache les pétales. Je dis, en chantonnant machinalement:
- Un peu ? Beaucoup? Passionnément? À la folie ou Pas du tout? Il me semble avoir déjà fait ça. Un jour. Ailleurs quelque part. Je ris un peu. Ma mémoire est trop engourdie. Je souffle sur les pétales et je dépose la fleur mutilée dans la poche de chemise. Avec ma cravate. Je ne sais plus. Ce n'est pas bien grave. Ce n'est pas bien grave puisque je pense qu'ainsi la fleur me correspond peut-être plus. Je me demande bien, qui a tiré trop fort sur mes pétales, puisqu'il ne me reste plus que du pas du tout dans le cœur? Je suis las. Qu'est-ce que je suis venu faire là, déjà? Je ne sais plus. Quelle importance?
J'emporte beaucoup de marguerite avec moi. Sous un bras. Et je continue de tirer sur les pétales des fleurs, en chemin vers autre part Je sème sur la route. Pave mon chemin, indélicat et ennuyeux de blanc et de violet. (Juste sur le bout de certaines pétales. Pâquerettes ou marguerite? Je n'ai jamais su faire la différence.) Un peu comme si j'avais peur de ne plus le retrouver après.
Je suis passé devant mon ancienne maison. Mes anciens voisins. J'ai traversé la ville en flânant. Toujours occupé avec mes fleurs. Mes pétales. Sans laisser mon regard s'arrêter sur les visages et les murs. Trop lisses et ennuyeux. Peut-être que je n'aurai pas dû venir ? Les passants et la ville me semble aussi ennuyeuse que Libra. Il faut que je marche alors. Que je marche. Je finirai bien par aller quelque part? Ici où là-bas. Ailleurs.
Peut-être même que j'atteindrai l'horizon. La limite du monde. Que j'y apposerai la pulpe de mes doigts tremblant et qu'après je tomberai sur plus d'éternité? La vraie. Celle qui dure toujours et qui fait vibrer. Pas la non-mort et son ennui.
***
J'ai gravi la colline. J'ai attrapé de nouvelles marguerites ou des pâquerettes. J'ai mis toutes les tiges usées sur le sol. (Toutes, sauf une qui se trouve toujours dans ma poche. ) Aux abords de l'immense serre. (Celle qui fait un peu jungle. Un peu sauvage. ) Pour pouvoir en faire un bouquet en revenant et toutes les emporter pour égayer un peu les vases vides de ma maison. Celle de Libra.
Les mains pleines de fleurs je me suis engouffré en chantonnant toujours, les pétales de mes fleurs jetées sur le sol. Pour continuer de tracer mon chemin et parce que j'arrive à tromper un peu l'ennui de mes phalanges.
- Un peu? Beaucoup? Passionnément? À la folie? Pas du tout? Me diras-tu petite marguerite à quel point je vais vivre aujourd'hui? Je crois que je pourrais me contenter d'un peu de folie.